mardi 25 août 2009

13 ans


J'ai du mal à me convaincre que ce n'est pas moi qui ai écrit ces lignes, elles me conviennent si bien, pour la tête, pour le vocabulaire à la noix... pour le reste. Et je les relis et je me souviens que je n'écrirais jamais "à la noix". Je n'écrirais jamais "Parce que, aussi, je dis 'Ouah'", non plus, parce que je ne placerais pas "aussi" à cet endroit de la phrase. Cette tournure me rappelle une phrase que quelqu'un m'a dite un jour et je ne peux pas entendre "aussi" utilisé ainsi sans entendre cette voix... Alors, quand je relis ce aussi, je n'ai plus aucun doute sur le fait que je n'ai pas écrit ces lignes... mais j'aurais aimé le faire.

"J'ai hoché la tête. J'ai la manie de hocher la tête. J'ai dit "Ouah". Parce que, aussi, je dis "Ouah". En partie parce que j'ai un vocabulaire à la noix et en partie parce que souvent j'agis comme si j'étais plus jeune que mon âge, j'avais seize ans à l'époque et maintenant j'en ai dix-sept et quelquefois j'agis comme si j'en avais dans les treize. Et le plus marrant, c'est que je mesure un mètre quatre-vingt-six et que j'ai des cheveux blancs. Sans blague. Sur un côté de ma tête - le côté droit - y a des millions de cheveux blancs. Je les ai depuis que je suis môme. Et pourtant j'agis quelquefois comme si j'avais dans les douze ans ; tout le monde le dit, spécialement mon père. C'est un peu vrai. Mais pas vrai cent pour cent. Les gens pensent toujours que ce qui est vrai est vrai cent pour cent. Je m'en balance, sauf que ça finit par m'assommer quand les gens disent que tout de même à mon âge... Ca m'arrive aussi d'agir comme si j'étais plus vieux que mon âge - oui, oui, ça m'arrive - mais les gens le remarquent jamais. Les gens remarquent jamais rien."
(J. D. Salinger, L'attrape-coeurs, édition Pocket, p. 18-19)

Un coup de tête, en souvenir des yeux qui ont le plus brillé pour moi


Juste comme ça, parce que je suis en train de lire des poèmes de Lord Byron et que ces quelques vers résonnent en moi comme un roulement de tambour ou une sonnerie de trompettes. Tant pis pour la ligne éditoriale de ce blog ! ;-)

"I dreamt last night our love return'd,
And, sooth to say, that very dream
Was sweeter in its phantasy,
Than if for other hearts I burn'd,
For eyes that ne'er like thine could beam
In rapture's wild reality."
(Lord Byron, "Remind me not, remind me not", Poèmes, éditions Allia, p. 24)

mercredi 19 août 2009

Ludivine ou l'absence


Je constate que pendant les mois d'été beaucoup d'auteurs de blogs postent des textes anciens, qu'ils avaient dans leurs tiroirs. Je ne voudrais pas que ce blog reste muet pendant tout le mois d'août, mes lecteurs réguliers risqueraient de perdre l'habitude de venir. ;-)

Alors moi aussi je veux vous offrir un texte que j'ai écrit il y a quelque temps. Mais je ne suis pas écrivain, je n'ai jamais rien écrit qui vaille la peine d'être conservé, je n'ai pas des centaines de manuscrits qui dorment dans des tiroirs... J'en ai trouvé un néanmoins. Je n'ai pas d'avis sur sa qualité (donnez-moi le vôtre, je pourrai m'en servir !). Il m'a inspiré beaucoup de réflexions. Il m'a fait prendre conscience de la difficulté qu'il y a à écrire un texte narratif. A vrai dire, je ne sais pas s'il faut dire "la difficulté qu'il y a" ou "la difficulté que j'ai". Je suis assez à l'aise pour écrire des textes argumentatifs, comme des rapports, des commentaires, des pamphlets et des lettres d'amour. Mais quand il s'agit de textes narratifs, je suis beaucoup plus embarrassé. Dans le carnet où j'écris habituellement, il est frappant de comparer ces types de textes : les récits sont beaucoup plus raturés. En outre, je constate que je passe beaucoup plus de temps à écrire un pauvre petit récit qu'une longue argumentation. Je ne sais pas si c'est le lot commun ou si c'est une spécificité. En tout cas, voici donc le résultat de longues heures d'efforts et de réflexions. Il occupera du moins le terrain !


Premier tableau : Ludivine ou l'absence

Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. (Stéphane Mallarmé, "Crise de vers", Divagations)

Euphrosyne et Naïa sortirent du lycée. Le soleil brillait, présage d'un week-end agréable. Ce temps rendait la perspective d'un vendredi après-midi sans cours encore plus réjouissante et, déjà, des images de piscine et de chaise longue flottaient dans leurs esprits. Réconfortée par ces rêveries, Naïa parvenait même à ne pas penser au manque de tabac qui la tourmentait depuis la veille. En fumant sa dernière cigarette, elle l'avait trouvée vraiment trop courte et elle avait ressenti une sorte de détresse un peu puérile, mais tellement sincère... Pourtant, la lumineuse chaleur qui l'enveloppa lorsqu'elle émergea de l'ombre triste et froide du lycée suffit à faire disparaître cette douleur. Elle prêta à peine attention à Euphrosyne qui sortit une cigarette de son paquet. Euphrosyne ne savait pas quelle torture subissait son amie et ne songea pas à lui en proposer une. Elle l'alluma en abritant son briquet de la brise printanière avec sa main.

En attendant la voiture qui devait venir les chercher, elles conversèrent gaiement avec Véta et Ludivine, sur le trottoir ensoleillé. Il y avait bien longtemps qu'elles n'avaient pas eu l'occasion de parler avec cette dernière et Euphrosyne lui reprocha gentiment de ne pas l'appeler plus souvent. Naïa se joignit à elle pour la tancer sur ces absences, avec une amicale bienveillance. Toutes deux savaient qu'elle avait de bonnes raisons d'être plus distante, depuis quelque temps, mais elles ne pouvaient s'empêcher de regretter les moments de complicité qu'elles avaient eus naguère. Radieuses et souriantes, elles devisaient calmement, sans voir le défilé incessant et irrégulier des automobiles. C'est à peine si elles haussaient la voix pour dominer le bruit, insoucieuses des regards que leur beauté, qui brillait au soleil du printemps ne manquait pas d'attirer.

Le trottoir était confusément chargé, capricieusement couvert des lycéens qui attendaient comme elles, quittaient ou regagnaient le lycée. De temps à autre, elles étaient bousculées ou devaient s'écarter pour faire place à un groupe de jeunes ou à une femme qui cheminait d'un pas pressé. Parmi les innombrables passants, un homme, beaucoup plus âgé, qu'elles avaient connu quelques années auparavant, marchait. Il les regardait avec insistance, le coin de la lèvre frémissant, pour être prêt à sourire en cas de besoin. Tandis qu'il s'approchait, le frémissement se durcit en un rictus hideux et son regard se fixa, d’un air artificieusement naturel, droit devant lui. Au même moment, ses joues s’empourprèrent.

Il faillit bousculer Naïa qui fit un pas de côté pour l'éviter, sans regarder dans sa direction, sans même prêter attention à ce dérangement. Malgré le soleil, elle ne put s'empêcher de frissonner, comme si elle avait été frôlée par un fantôme. Elle ne parvint pas à s'expliquer cette sensation légère et éphémère.