mardi 13 octobre 2009

Lucie ou Lucy : il n'y a pas de vrai sens d'un texte

Je me rends compte que ce blog comporte beaucoup de chansons. Il va falloir que je corrige cela dans les billets à venir. Mais ce ne sera pas pour aujourd'hui. Car aujourd'hui, je veux encore parler d'une chanson. Mais avant de la citer, je voudrais citer un passage de Paul Valéry :

"Quant à l'interprétation de la lettre, je me suis déjà expliqué ailleurs sur ce point ; mais on n'y insistera jamais assez : il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autorité de l'auteur. Quoi qu'il ait voulu dire, il a écrit ce qu'il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens : il n'est pas sûr que le constructeur en use mieux qu'un autre. Du reste, s'il sait bien ce qu'il voulut faire, cette connaissance trouble toujours en lui la perception de ce qu'il a fait".
(P. VALÉRY, " À propos du Cimetière marin " [1933], Œuvres, t. I ; Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1506-1507)
Je pense que cette affirmation s'applique très bien au texte dont je veux parler. En effet, comment Pascal Obispo se représente-t-il la chanson "Lucie", puisque c'est d'elle qu'il s'agit ? Il y a fort à parier qu'il la voie comme elle apparaît d'abord : un monologue un peu mièvre (devrais-je dire "gnan-gnan" ?) constitué par les encouragements de quelqu'un à une jeune fille un peu dépressive. Oh ! Je l'avoue ! Si je dois un jour réconforter une jeune fille qui n'a pas le moral, j'aimerais avoir autant de verve, mais c'est une autre question.

Revenons à notre texte : si on le prend tel qu'il se présente, on ne voit qu'une accumulation de clichés et de banalités sur le thème de la fuite du temps. C'est donc ainsi qu'apparaît sans doute ce texte à son auteur. Mais il n'y a pas d'autorité de l'auteur...

J'ai une chance (voici bien quelque chose que je n'écris pas souvent) : la première fois que j'ai entendu cette chanson (ne cherche pas lecteur, tu n'étais pas né), ce n'est pas ainsi qu'elle m'est apparue et elle m'a semblé géniale !

Voici les paroles de cette chanson, tout d'abord pour que mon lecteur puisse suivre la suite de mon raisonnement :
Lucie, Lucie c'est moi je sais,
Il y a des soirs comme ça où tout...
s'écroule autour de vous.
Sans trop savoir pourquoi toujours

Regarder devant soi
Sans jamais baisser les bras, je sais...
C'est pas le remède à tout,
Mais 'faut se forcer parfois...

Lucie, Lucie dépêche toi, on vit,
On ne meurt qu'une fois...
Et on n'a le temps de rien,
Que c'est déjà la fin mais...

[Refrain: x2]
C'est pas marqué dans les livres,
Que le plus important à vivre,
Est de vivre au jour le jour.
Le temps c'est de l'Amour...

Même, si je n'ai pas le temps,
D'assurer mes sentiments...
J'ai en moi, oh de plus en plus fort,
Des envies d'encore...

Tu sais, non, je n'ai plus à cœur,
De réparer mes erreurs ou de,
Refaire c'qu'est plus à faire :
Revenir en arrière...

Lucie, Lucie t'arrête pas, on ne vit
Qu'une vie à la fois...
A peine le temps de savoir,
Qu'il est déjà trop tard...

[Refrain x2]
de l'Amour...

Mmmm, Lucie, j'ai fait le tour,
De tant d'histoires d'amour.
J'ai bien, bien assez de courage,
Pour tourner d'autres pages, sâche...

Que le temps nous est compté.
Faut jamais se retourner en se disant,
"Que c'est dommage,
d'avoir passé l'âge"

Lucie, Lucie t'encombre pas
De souvenirs, de choses comme ça.
Aucun regret ne vaut le coup
Pour qu'on le garde en nous...

[Refrain x2]
De l'Amour
(Pascal Obispo)
Heureusement, je n'ai pas cessé de la comprendre comme la première fois, même si j'ai découvert que cette lecture n'était pas celle que prévoyait son auteur. En effet, si l'on ignore l'orthographe du prénom de la destinataire, et qu'on l'écrit "Lucy", le message prend une tout autre portée.

Comme il est plus touchant de parler de la fuite du temps à une australopithèque morte depuis plusieurs millions d'années... Comme il est bouleversant d'imaginer le soir où tout s'est écroulé autour de Lucy... Cette Lucy, qui fut parmi les premiers à marcher sur deux pieds, pour regarder devant elle sans jamais baisser les bras ! Oh bien sûr ! Cette bipédie n'est pas un remède à tout, mais il a bien fait progresser Lucy et ses descendants (il semble, si je dois croire les quelques lectures que j'ai faites pour préparer ce billet, que l'hypothèse selon laquelle Lucy appartiendrait à une espèce à l'origine du genre humain soit écartée, je propose néanmoins de ne pas prendre cet élément scientifique en compte) et il faut se forcer parfois.

Lucy n'est-elle pas merveilleusement bien placée pour savoir qu'on vit et qu'on ne meurt qu'une fois, qu'on n'a le temps de rien et que c'est déjà la fin ! Lucy, que représente l'espace d'une vie, devant les 3 millions d'années qui nous séparent de toi ? C'est vrai, tout a bien changé depuis ta naissance, la science, la technologie ont fait beaucoup de progrès, mais il est quelque chose qui n'a pas changé et qui n'est toujours pas marqué dans les livres : le plus important est de vivre au jour le jour. (Un lecteur mal-intentionné pourra se demander si l'auteur de ces vers a jamais ouvert un livre pour croire que cette exhortation n'est pas marquée dans les livres, alors qu'elle y est représentée abondamment depuis l'Antiquité ; pour ma part, je veux y voir une invitation à prendre pleinement conscience, d'une façon subjective, de cette exigence et cette expérience morale et métaphysique doit être vécue par chacun indépendamment de ses lectures...) Puisse le temps de Lucy, déjà, avoir été de l'amour, comme le temps de chacun de nous doit en être !

Lucy, vois ce que tu es devenue ! Ne t'encombre pas de souvenirs, de choses comme ça. Tu le sais bien, maintenant, aucun regret ne vaut le coup qu'on le garde en nous ! J'espère que tu as bien vécu, que tu n'as jamais pensé qu'il est dommage d'avoir passé l'âge...

En outre, la figure de l'homme du XXème siècle qui donne des conseils sur la façon de mener sa vie à une de ses ancêtres morte depuis plusieurs millions d'années est aussi très singulière et intéressante, elle n'est pas sans évoquer la posture docte et naïve d'un jeune enfant qui explique les vérités de l'existence à sa grand-mère.

Un dernier détail : j'ai commencé à écrire ce billet le 26 septembre 2009. J'ai appris le mardi suivant (le 29) que Lucy O'Donnell, qui avait inspiré la chanson "Lucy in the sky with diamonds" à John Lennon, venait de mourir. On se souvient que le squelette d'australopithèque a été baptisé Lucy parce que les paléontologues qui l'ont découvert écoutaient cette chanson... Je me contente d'attirer l'attention de mon lecteur sur cette coïncidence, sans y insister davantage. Je suis trop habitué aux ruses et aux perfidies de la Providence pour m'étonner de ce détail (le 29 septembre est précisément le jour où j'ai terminé ce billet sur mon carnet, juste avant de perdre ledit carnet, et de devoir le récrire maintenant). Je dédie donc ce billet à cette Lucy... et à toutes les Lucy et Lucie.

jeudi 8 octobre 2009

"C'est une marmite que j'aime"



Dans la semaine dernière, j'ai perdu le carnet moleskine où je consignais toutes mes idées, où j'écrivais des brouillons de textes pour ce blog... Quelques jours après, j'ai perdu mon téléphone portable. Sur la perte de ce dernier, je n'ai que peu à dire. Mais celle du moleskine m'inspire quelques réflexions.

D'abord, je pense à la chance de celui qui l'a trouvé... J'ai déjà pensé à cela il y a quelques années, quand j'avais déjà perdu un petit carnet. Je crois qu'il doit être émouvant de trouver un carnet bien rempli de notes et de textes divers. J'ai parfois pris plaisir à lire des lettres ou des documents écrits par des inconnus, trouvés dans des brocantes, et à imaginer leur vie. Je crois qu'il y a dans mon moleskine de quoi m'imaginer une assez jolie vie... Je me plais même à rêver que celui qui l'aura trouvé le fera éditer (peut-être sous le titre Traité du loup des steppes) :-)

Mais je me dis aussi que celui qui l'a trouvé n'y verra aucun intérêt (c'est d'ailleurs le plus probable) ; il a trouvé beaucoup moins que je n'ai perdu, et c'est une pensée qui me déchire le coeur. Il préfèrerait sans doute que je lui donne le carnet sur lequel je suis en train d'écrire et qui est neuf, plutôt que celui que j'ai perdu, dont la reliure commence à faiblir, dont les trois quarts des pages sont déjà utilisées... et moi, je serais prêt à lui donner dix carnets neufs pour récupérer le mien...

Pourtant, je ne suis pas vraiment triste. Je ne suis pas triste, en premier lieu, parce que je crois, contre toute vraisemblance, que je vais le retrouver. Oh bien sûr ! Il y a mon nom et mon adresse sur la page de garde, comme il convient, mais quelqu'un prendrait-il la peine d'envoyer un tel objet ? Peut-être quand il aura fini de le lire ? Dans ce cas, j'aurais dû écrire moins et plus proprement...

Ensuite, je ne suis pas triste parce que j'observe le monde avec un regard émerveillé. Cette perte, suivie aussitôt (le surlendemain) par celle de mon téléphone me semble complètement inouïe. Ce sont deux morceaux importants de ma vie que j'ai perdus ainsi. Cette idée que ma vie est en train de tomber petits bouts par petits bouts me fascine et j'attends presque avec impatience de savoir ce que je vais perdre par la suite. Comme mes lecteurs les plus fidèles le savent, j'ai la manie de vouloir donner un sens à toutes les petites choses qui se produisent, à toutes les coïncidences et je vois dans ces événements un spectacle merveilleux.

D'ailleurs, lecteur, je dois reconnaître que j'ai bien moins lieu de me plaindre que toi ! En effet, tous ces textes qui étaient sur mon carnet et que je n'ai jamais publiés ici, je les ai déjà vus et il en reste quelque chose dans ma mémoire alors que pour toi, ils sont perdus pour toujours, et c'est une perte inestimable (si après cela, quelqu'un dit encore que je me dévalorise, ce sera à n'y rien comprendre) ! Il existe des artistes dont le chef d'oeuvre est toujours l'oeuvre à venir, pour moi ce sera celle qui a été perdue !

Toutefois, je dois concéder que depuis la semaine dernière, je ressens parfois comme une sorte de découragement, une sorte de désoeuvrement mélancolique et je crois que ces pertes n'y sont pas complètement étrangères.

Jadis, quand j'étais en terminale, je n'avais pas toujours le moral, je ressentais souvent un certain vague à l'âme, une mélancolie, un dépit, une envie de suicide. Etrangement, c'est un travail scolaire qui m'a redonné goût à la vie : ma professeur de philo m'a fait lire le Manuel d'Epictète et cette lecture a changé ma vie ! Depuis cette époque, toutes le fois où je me sens déprimé, je relis ce texte (sauf les fois, fréquentes, où je préfère me complaire dans ma mélancolie et où je lis Les Fleurs du mal). Le passage qui m'a le plus marqué est celui qui va suivre. Combien de fois l'ai-je répété à mon entourage !

Εφ' ἑκάστου τῶν ψυχαγωγούντων ἢ χρείαν παρεχόντων ἢ στεργομένων μέμνησο ἐπιλέγειν, ὁποῖόν ἐστιν, ἀπὸ τῶν σμικροτάτων ἀρξάμενος: ἂν χύτραν στέργῃς, ὅτι "χύτραν στέργω". κατεαγείσης γὰρ αὐτῆς οὐ ταραχθήσῃ: ἂν παιδίον σαυτοῦ καταφιλῇς ἢ γυναῖκα, ὅτι ἄνθρωπον καταφιλεῖς: ἀποθανόντος γὰρ οὐ ταραχθήσῃ. (Arrien, Manuel d'Epictète, III) [Adresse privée au commentateur anonyme : tu as sous-entendu que je pouvais être un prof de grec, tu vois maintenant que ma vengeance peut être terrible ! Puisses-tu réfléchir à deux fois désormais avant de porter de telles accusations !]
(A propos de tout objet d'agrément, d'utilité ou d'affection, n'oublie pas de te dire en toi-même ce qu'il est, à commencer par les moins considérables. Si tu aimes une marmite, dis : « C'est une marmite que j'aime ; » alors, quand elle se cassera, tu n'en seras pas troublé : quand tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c'est un être humain que tu embrasses ; et alors sa mort ne te troublera pas. (traduction Jean-François Thurot, 1899))

Comme il est réconfortant de se dire "C'est un moleskine que j'aime", "C'est un téléphone portable que j'aime" !

La suite de ce billet traitera de questions autobiographiques encore plus intimes et plus incompréhensibles que celles qui ont été évoquées jusqu'à maintenant, et abordera aussi, et surtout, quelques ratiocinations métaphysiques et élucubrations théologiques dont la lecture pourra être fastidieuse. Lecteur, si le début du billet t'a paru ennuyeux ou agaçant, je te prie instamment d'aller vaquer à d'autres occupations, la suite ne te sera d'aucun intérêt.

Autre précision pour les lecteurs qui auraient fait le choix de poursuivre leur lecture : les considérations qui suivent appartiennent au genre "lard-cochon", elles sont sérieuses, mais pas trop. Ou plutôt, elles sont très sérieuses, parce que rien de ce qui y est dit n'est faux, mais c'est ce qu'on pourrait appeler un sérieux esthétique (je crains de troubler mon lecteur si je dis que la bonne façon de considérer ces choses sérieusement, c'est de ne pas les prendre au sérieux).

Je suis fasciné par le hasard et en particulier par ce qu'on appelle des coïncidences. J'y prête une grande attention et je m'efforce toujours d'y voir un sens. Chose étrange, il est rarissime que je ne trouve pas un sens à un événement fortuit. Cela me conduit à penser que le hasard n'existe pas et qu'il y a quelque part une Providence qui joue avec nous et qui lutte contre nous. Cette Providence est injuste, vindicative, teigneuse, atrabilaire. J'ai entrepris d'écrire un petit texte (dont le titre commence par Contra Providentiam et se poursuit par un sous-titre interminable en latin, à la façon des traités de théologie du XVIème siècle ; comme ce sous-titre était noté dans mon moleskine, je ne puis pas le donner pour le moment) pour dénoncer ses agissements. Ce texte doit être constitué de sept petits récits racontant un même événement (ou, dans certains cas, un non événement), avec certaines variations. Les trois premiers de ces textes sont déjà lisibles sur ce blog : "Premier tableau : Ludivine ou l'absence", "Deuxième tableau : Ataraxie", "Troisième tableau : Illusions et aveuglement" . Le quatrième était intégralement écrit sur mon moleskine. Ces récits doivent être suivis d'une postface expliquant comment les comprendre et démasquant les ruses de la Providence.

Comme on peut s'en douter, ladite Providence ne voit pas d'un bon oeil la publication de ce texte. Et comment mieux s'opposer à cette publication qu'en faisant disparaître le support sur lequel il est écrit ? Je le dis, car il faut savoir reconnaître les victoires de ses ennemis : c'est à la fois une vengeance géniale et un obstacle formidable à la poursuite du combat. Il va sans dire que je ne me rendrai pas.

Je voudrais attirer l'attention de mon très estimable lecteur sur quelques détails qui confirment à mes yeux l'implication de la Providence dans cette histoire. Le premier de ces détails est que la dernière fois que j'ai utilisé mon moleskine, j'étais en train de me reposer dans ma voiture, entre deux réunions, ma nuit avait été brève et agitée, comme sont la plupart de mes nuits, et je me suis donc assoupi... pas une longue sieste de plusieurs heures, hélas ! Non, quelques minutes peut-être. Etrangement, j'ai fait un rêve, ce qui ne m'arrive jamais lors de ce genre de sommeils brefs. Je vous livre ce rêve dans son intégralité, sans pudeur et sans voile, en tout cas de ce dont je me souviens :

Une jeune femme en tenue légère (il est possible que mes fantasmes se manifestent dans mes rêves, je le concède... mais qu'on ne se trompe pas : "tenue légère" n'est pas un euphémisme pour dire qu'elle était nue) était dans une cabine d'essayage et elle s'adressait par dessus le rideau à l'extérieur de la cabine, que je ne voyais pas, en disant : "Tu veux jouer, Ludo ?"

Ce petit rêve m'a beaucoup préoccupé. D'abord, et surtout, parce que je ne connais personne qu'on pourrait appeler Ludo et je me demandais d'où pouvait venir ce prénom. J'ai donc consigné ce rêve dans mon moleskine. C'est la dernière chose que j'y ai consignée. Je ne peux pas ne pas essayer de voir ce rêve comme un signe (et si, toi aussi lecteur, tu es friand de littérature hermétique, néo-platonicienne, gnostique, apocalyptique, tu ne peux pas ne pas essayer de trouver le sens de ce songe). Je ne ferai pas une exégèse longue et approfondie, mais qu'on considère ceci : je ne connais pas de Ludo (ou Ludovic), mais je connais une Ludivine (ou Ludi). Ou plutôt, je ne connais pas vraiment de Ludivine non plus, mais j'ai écrit un texte qui s'appelle "Ludivine ou l'absence", dont j'ai parlé plus haut... D'ailleurs, j'avais écrit quelques jours auparavant dans un commentaire sur Facebook :
Tu as raison, la Providence est toujours tapie dans l'ombre... C'est un combat de chaque jour ^^ D'ailleurs, elle vient de me faire un sale coup... Rien de grave, mais je crois que c'est sa vengeance pour "Ludivine"...
[je ne donne pas les dates et les références exactes, mais je les tiens à la disposition de tous mes lecteurs qui voudront m'en faire la demande.]

J'ai oublié le "coup" dont il était question (ce qui montre assez qu'il n'était pas grave du tout), mais il faut croire que la Providence n'avait pas dit son dernier mot, alors.

Dans ce conditions, comment ne pas voir mon rêve comme un pied de nez de la Providence ? Comme une façon pour elle de dire :
Tu crois que je me suis vengée pour "Ludivine" ? Tu veux jouer ? Tu veux te battre avec moi ? Alors regarde ton moleskine une dernière fois et abracadabra ! Moi, je joue.
J'admire même le jeu de mots que mes lecteurs latinistes auront perçu : Ludo, je joue. En somme, on pourrait comprendre la phrase du rêve comme : "Tu veux jouer ? Moi je joue !". Mais dans avec une adresse subtile, la Providence a su y ajouter une référence à "Ludivine" ; le fait qu'elle s'adresse à moi en latin, n'est pas complètement neutre non plus...

Bien plus, j'ai appris par la suite que quelqu'un avec qui j'ai été en contact naguère et qui a quelque peu à voir avec l'histoire de "Ludivine" a également perdu deux choses, les deux mêmes jours. Non seulement il y a cette coïncidence, mais par surcroît, il y a comme une symétrie troublante : les choses qu'elle a perdues (je suis navré d'être aussi abscons, mais autant je suis enclin à bavarder sur ma vie privée, autant je me fais un devoir de préserver celle des autres) sont importantes, celles que j'ai perdues ne le sont pas ; mais la perte pour elle est toute provisoire, quand elle est définitive pour moi. Enfin, cette personne est beaucoup plus jeune que moi (ce n'est pas difficile) et ce qu'elle a perdu était des choses qui, à certains égards, la faisaient entrer dans le monde des adultes, de mon côté les objets perdus me maintenaient dans le monde de l'adolescence (qu'y a-t-il de plus adolescent qu'un téléphone portable ou un carnet pour écrire des poèmes ?).

Un dernier élément qui permettra au lecteur de prendre conscience de la captieuse perfidie de la Providence : mon billet "Ludivine" est illustré par une photo de mon moleskine, justement (celle que je mets ici même à nouveau). Moins probant (parce que je laisse au lecteur la liberté de croire que ce n'est pas une coïncidence), le deuxième texte est illustré par une représentation d'Epictète et porte en épigraphe une citation du Manuel.

Je ne donne pas de sens particulier à tous ces détails, mais j'y vois autant de clins d'oeil de la Providence, comme quand, dans un film policier, le méchant donne un coup de téléphone anonyme au gentil en lui disant : "On sait où tu habites".

Mais c'est toujours le gentil qui gagne à la fin...