mercredi 23 septembre 2009

Des vers et des étoiles

Depuis quelques mois, je suis enclin à accorder une attention toute particulière à l'évocation des étoiles. Cela tient, à n'en pas douter, au hasard des rencontres, et comme ces chansons qui font immanquablement penser à quelqu'un, même si on n'a plus aucun lien avec cette personne, toutes les fois où j'entends parler d'étoile, je ressens une émotion, même si cette émotion n'est plus liée à ce qui la provoquait initialement. Bien sûr, l'image de l'étoile est surabondante dans la littérature (et la chanson) et je ne vais pas me lancer dans un recensement exhaustif de toutes ses occurrences. Toutefois, il est un rapprochement qui m'est particulièrement cher, c'est celui du ver de terre et de l'étoile. Bien sûr, cela évoque inévitablement la lettre de Ruy Blas :

" madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là
qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;
qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;
qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;
et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. "
(Victor Hugo, Ruy Blas, Acte II, sc. 2)
Pourtant, lorsqu'il m'est arrivé, assez maladroitement au demeurant, d'utiliser cette image, ce n'est pas ce vers (ou ce ver !) que j'avais en tête ; c'était plutôt la chanson que Jacques Larue a écrite sur un air de Charlie Chaplin, et qui était chantée par André Claveau, "Deux petits chaussons" :

"Écoutez cet air
C'est l'histoire banale
De ce ver de terre
Amoureux d'une étoile
Histoire d'enfant
Qui souvent fait pleurer
Les grands"
Ecouter sur Deezer

Depuis, j'ai lu une citation d'Yvan Audouard qui, plus encore que les autres, fait vibrer une corde dans mon coeur :
Les vers de terre s'enfoncent dans le sol pour ne pas tomber amoureux
des étoiles.
(merci à Francis Baux pour cette belle citation)

Surtout, il y a une chanson que j'écoute plusieurs fois par jour. Chaque année, au début de l'été, j'ai la même envie : je mets mon panama sur ma tête, je coupe un puro (pas toujours cubain, car, pour une raison étrange, le Honduras ou Saint Domingue me semblent plus exotiques) et je me mets à écouter de la musique "latina". J'ai ainsi passé l'été 2008 avec Compay Segundo en boucle sur mon autoradio. Cette année, j'ai eu envie de tango, sans doute parce que j'avais Borges dans la tête au moment de ce choix et c'est donc à Carlos Gardel qu'est échue la tâche immense d'accompagner mes nombreuses heures au volant et d'alimenter mes rêveries. Et il faut reconnaître qu'il s'est merveilleusement acquitté de cette tâche !

Je l'avoue, il est un peu malhonnête de mettre ce texte avec ceux qui parlent de vers de terre et d'étoiles. Mais après tout, j'ai assez souvent regretté des traductions approximatives pour me permettre de profiter de ces approximations quand ça me fait plaisir... Ici, il ne s'agit pas d'un ver de terre, mais d'un ver luisant... Mais qu'importe !

Je dis que j'écoute cette chanson plusieurs fois par jour et ce n'est pas exagéré du tout. Il m'arrive de l'écouter 30 fois dans la journée et je suis étonné de tous les rêves qu'elle suscite en moi. J'entends une jeune fille parler d'un morceau de feu d'artifice qu'elle a trouvé dans ses cheveux après un spectacle et c'est aussitôt le ver luisant curieux qui me vient à l'esprit. J'entends quelqu'un dire qu'il regrette le rire d'une de ses amies et voici "el amparo de tu risa leve que es como un cantar". Que dire des étoiles jalouses ? Et j'ai si souvent pensé "Como rie la vida si tus ojos negros me quieren mirar" ! Je partage avec vous cette chanson, qui pourra rebuter par son côté très classique, mais que je tiens pour un puits inépuisable de poésie.

Je n'ai pas trouvé de traduction française de ce texte. J'ai donc traduit moi-même, en m'aidant d'une traduction anglaise d'Alberto Paz. Cette traduction n'a aucune prétention, je n'ai que des souvenirs scolaires fort vagues de la langue espagnole et il faut plus voir ma "traduction" comme une liste de vocabulaire que comme une véritable traduction.

"Acaricia mi ensueño
el suave murmullo de tu suspirar.
Como rie la vida
si tus ojos negros me quieren mirar.
Y si es mio el amparo
de tu risa leve
que es como un cantar,
ella aquieta mi herida,
todo todo se olvida.

El día que me quieras
la rosa que engalana,
se vestirá de fiesta
con su mejor color.
Y al viento las campanas
dirán que ya eres mía,
y locas las fontanas
se contaran su amor.

La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar.
Y un rayo misterioso
hara nido en tu pelo,
luciernaga curiosa que veras
que eres mi consuelo.

El día que me quieras
no habra más que armonía.
Será clara la aurora
y alegre el manantial.
Traerá quieta la brisa
rumor de melodía.
Y nos daran las fuentes
su canto de cristal.

El día que me quieras
endulzara sus cuerdas
el pajaro cantor.
Florecerá la vida
no existira el dolor

La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar.
Y un rayo misterios
hará nido en tu pelo.
Luciernaga curiosa que veras
que eres mi consuelo."

("El día que me quieras", paroles d'Alfredo Lepera)
(Il caresse mon rêve, le doux murmure de tes soupirs.
Comme la vie rit, si tes yeux noirs veulent me regarder.
Et si l'abri de ton rire léger, semblable à un chant, est à moi, il apaise ma blessure ; tout, tout est oublié

Le jour où tu m'aimeras, le décor de roses se vêtira pour la fête avec sa plus belle couleur.
Et dans le vent les cloches diront que tu es à moi, et folles les fontaines se parleront d'amour.

La nuit où tu m'aimeras, depuis le bleu du ciel, les étoiles jalouses nous regarderont passer.
Et un rayon mystérieux fera son nid dans tes cheveux, ver luisant curieux qui verra que tu es ma consolation.

Le jour où tu m'aimeras, il n'y aura rien de plus que de l'harmonie.
L'aurore sera claire et la source joyeuse.
La brise portera tranquille une rumeur de mélodie.
Et les fontaines nous donneront leur chant de cristal.

Le jour où tu m'aimeras, l'oiseau chanteur adoucira ses cordes.
La vie fleurira, la douleur n'existera pas.

La nuit où tu m'aimeras, depuis le bleu du ciel, les étoiles jalouses nous regarderont passer.
Et un rayon mystérieux fera son nid dans tes cheveux, ver luisant curieux qui verra que tu es ma consolation.)
Ecouter l'interprétation de Carlos Gardel

Illustration : photo de Nick Ares

mercredi 16 septembre 2009

Troisième tableau : Illusions et aveuglement


Puisque je ne recule devant aucun sacrifice pour complaire à mes lecteurs...

Troisième tableau : Illusions et aveuglements

"Sed quonam lateat quod cupiunt bonum
nescire caeci sustinent
et quod stelliferum transabiit polum
tellure demersi petunt"
(Boèce, Consolation de Philosophie, III, m. 8, 15-18)

Nous venions de sortir du lycée. Comme tous les vendredis, nous n'avions pas cours l'après-midi et le père de Naïa venait nous chercher à midi. Nous attendions sur le trottoir, devant le Carmel, comme d'habitude. Veta et Ludivine étaient avec nous et nous devisions gaiement, de choses et d'autres. Il faisait un soleil magnifique et l'après-midi s'annonçait exquis, surtout que j'allais le passer avec Parmenas dont j'avais été séparée pendant si longtemps ; nous irions peut-être à la piscine, chez ma tante, ou alors, nous choisirions peut-être de rester ainsi, enlacés dans ma chambre, jusqu'à la nuit. Aucun choix n'était fait et toutes les possibilités étaient ouvertes, chacune débordant de promesses de bonheur.

J'étais en train de parler d'un événement de la matinée, lorsque Naïa m'interrompit d'un coup de coude, en me désignant un vieil homme qui passait sur le trottoir d'en face. "Tu ne trouves pas qu'on dirait M. ?", me demanda-t-elle, distraitement amusée. Il n'y avait aucun doute, il s'agissait bien de M., que nous avions fréquenté, quelques années auparavant dans certains lieux interlopes. Je me sentis rougir, ou blêmir, je ne saurais le dire. Ce que Naïa ne savait pas, c'était que M. était aussi un mystérieux inconnu qui m'avait accablée d'une cour sans fin au téléphone et qui désormais la harcelait... J'étais parvenue, non sans peine, à percer son masque et à lui faire avouer que je l'avais bien reconnu, mais j'avais dû jurer de ne révéler son identité à personne.

J'essayai de cacher mon trouble de mon mieux, mais j'étais terrifiée à l'idée que Naïa pût me proposer d'aller lui parler. Nous n'avions aucune raison de le faire, nous n'avions jamais été proches de lui au point de l'interpeller dans la rue et les années n'avaient rien arrangé à cela ; en outre, ses cheveux hirsutes et son regard fuyant n'incitaient guère à la familiarité avec lui. Mais Naïa a parfois des spasmes de folie, c'est d'ailleurs un des aspects de sa personnalité qui la rendent si touchante ! Que lui dirais-je si elle voulait que nous l'abordions ? J'étais face à un dilemme cuisant : devrais-je me parjurer pour informer Naïa de la véritable nature de celui qui lui téléphonait et ainsi la préserver du monstre dans les griffes duquel elle se serait jetée ? Ou devrais-je feindre l'indifférence et me comporter comme si cet homme n'était vraiment que M. ?

Elle fit un pas dans sa direction et je m'écriai : "Non, Naïa ! Attends !" Mais elle avait continué sa progression et se retourna brusquement vers moi, en entendant mon cri. Elle paraissait stupéfaite, tout comme Veta et Ludivine, de ma réticence soudaine à monter dans la voiture de son père dont elle avait déjà ouvert la portière et que j'empruntais régulièrement.

Illustration : photographie sous licence Creative Commons de gadl

Deuxième tableau : Ataraxie



Puisqu'on me l'a demandée, voici la suite du texte "Ludivine ou l'absence". Je ne sais pas si j'écrirai et a fortiori si je publierai les autres textes de cet hexaptyque... Je compterai combien de commentaires ou de mails (il faut bien un peu d'opacité dans ce sondage... ;-)) me demanderont de continuer et je comparerai au nombre (et à la qualité) de ceux qui me supplieront de ne pas publier davantage.

Deuxième tableau : Ataraxie

Sache qu'il n'est pas facile de conserver sa volonté dans un état
conforme à la nature, et en même temps de veiller sur les choses du
dehors ; mais nécessairement, on ne peut s'occuper de l'un sans
négliger l'autre. (Epictète,
Manuel, XIII)

Je sortis du lycée. Comme tous les vendredis, je n'avais pas cours l'après-midi et je n'étais pas mécontente de pouvoir me détendre un peu, surtout que le soleil qui brillait laissait présager de bonnes heures sur ma chaise longue, pendant ce week-end prolongé. J'étais joyeuse, je ne pensais plus à ce qui me préoccupait, au bac, à ce garçon qui ne comprenait décidément rien, à tous ceux qui voulaient tout décider à ma place. Je ne pensais pas même à ces cigarettes qui me manquaient depuis la veille ! D'ailleurs, mon père m'avait promis de m'acheter un paquet et je me voyais déjà en savourer cinq coup sur coup, en allumant chacune avec le mégot de la précédente, pour rattraper le temps perdu... ou la nicotine perdue.

Sur le trottoir, je rencontrai Euphrosyne, qui m'attendait déjà, accompagnée de Véta. Nous fîmes quelques pas puis nous arrêtames devant le Carmel, pour attendre mon père, qui venait nous chercher en voiture. Ludivine se joignit à nous. Je ne l'avais pas vue depuis plus d'un mois. Elle nous apprit ses nouveaux projets et Euphrosyne lui reprocha amicalement de ne pas l'appeler
assez souvent. Je m'associai à ses reproches et nous ne la laissâmes pas protester. Nous savions bien au fond que ces absences n'étaient pas le signe d'un manque d'affection pour nous et nous comprenions qu'il lui soit parfois difficile de trouver du temps à nous consacrer, même si nous le regrettions.

Euphrosyne entreprit alors de nous faire le récit d'un épisode particulièrement frappant de sa matinée. Elle prit la parole, avec le torse bombé et un sourire charmeur aux lèvres, après avoir tiré négligemment sur sa cigarette. Je ne pus m'empêcher, comme à chaque fois que je la vois intervenir ainsi, d'admirer son charisme et la présence avec laquelle elle sait captiver son auditoire. Je lui ai souvent conseillé de faire du théâtre pour apprendre à mieux tirer
profit de cette aura naturelle. Soudain, elle s'arrêta au milieu d'une phrase.

Oh... le silence fut de courte durée et elle enchaîna aussitôt, Euphrosyne n'est pas une fille qui se laisse facilement émouvoir. Véta et Ludivine ne se rendirent même pas compte de cette hésitation. Mais à moi, à moi qui connaissais Euphrosyne depuis si longtemps, à moi qui avais partagé tous ses bonheurs et toutes ses peines depuis l'enfance, elle ne pouvait rien me cacher et aucune de ses émotions ne pouvait me rester inaperçue. Je vis bien qu'elle était troublée et la pâleur, faible, presque imperceptible, qui passa furtivement sur ses joues confirma cette impression. Aussitôt, je suivis son regard pour connaître la cause de cette réaction. Je ne vis rien, qu'un vieillard qui passait derrière moi avec les yeux fixés au sol. Comme il avait rougi, je me demandai s'il n'avait pas osé quelques geste ou quelque regard inconvenant à son intention.

En fin d'après-midi, nous profitâmes de la piscine de sa tante. Saisissant un moment d'absence de son ami pour l'interroger sur le ton de la confidence, je lui parlai de cette réaction et du vieillard, mais avec un embarras évident, elle affecta de ne pas comprendre à quoi je faisais allusion. Depuis lors, il ne s'est pas passé un jour sans que je doute de la confiance que je pouvais avoir dans sa franchise, même si elle reste, aujourd'hui encore, mon amie éternelle.