lundi 27 juillet 2009

Aujourd'hui, j'ai pleuré

C'est entendu, il m'arrive de pleurer quand des jeunes filles ne sont pas gentilles avec moi ;-), il m'arrive aussi parfois de pleurer en regardant ma vie et l'espace qu'il me reste à parcourir. Oui, certains de mes lecteurs (c'est un rôle qui écherrait encore mieux à certaines de mes lectrices...) pourront dire que je pleure sans cesse et sans raison. Libre à eux (à elles) ! Mais si quelqu'un dit cela, je pleure...

Rien de tout cela aujourd'hui. J'avais lu ce poème de P. Neruda il y a longtemps, peut-être même l'avais-je quelque peu étudié en cours d'espagnol, mais depuis ce temps, toujours m'étaient restés en mémoire les derniers vers :

"Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!"

C'est un des mantras que je me répète souvent dans les moments de solitude.

L'envie m'a pris de relire ce texte dans son intégralité. Et alors j'ai pleuré. C'est ici, que tout a commencé :

"y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños."

Ne pleure pas lecteur, c'est une peine inutile.

Pour une fois, je vais donner la citation en espagnol, puis sa traduction.

"Preguntaréis : Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta de amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.
Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.
Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de junio ahogaba flores en tu boca?
Hermano, hermano!
Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Argüelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.
Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles,
venid a ver
la sangre por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!"
("Explico algunas cosas", Pablo Neruda)

(Vous demanderez "où sont les lilas
Et la métaphysique couverte de coquelicots
Et la pluie aux mots criblés
De lacunes et d'oiseaux ? "
Voici :
Je vivais dans un quartier de Madrid
avec des horloges, avec des cloches, avec des arbres.
De là on voyait au loin le visage sec de la Castille
comme un vaste océan de cuir.
Ma maison s'appelait
La maison des fleurs. De tous côtés
jaillissaient des géraniums ;
c'était une belle maison
avec des chiens et des enfants.
Raoul, tu te souviens ?
Te souviens-tu Raphaël ?
Federico, te souviens-tu ?
Toi qui dors sous la terre,
Te souviens-tu de ma maison aux balcons
Où la lumière de juin étranglait des fleurs dans ta bouche ?
Tout n'était que voix ardentes,
sel des marchandises,
agglomérations de pain palpitant ;
Les marchés de mon quartier d'Arguelles
Avec sa statue comme un encrier pâli.
L'huile roulait dans les cuillers,
Un profond battement
de pieds et de mains emplissait les rues.
Mètres, litres, essence profonde de la vie.
Meules de poissons entassés
Contexture des toits avec le soleil froid
dans lequel se dressait la flèche lassée,
L'ivoire délirant et fin des pommes de terre,
Vagues houleuses de tomates roulant jusqu'à la mer.

Et un matin tout prenait feu
Un matin des brasiers sortirent de terre
Dévorant les hommes.
Et depuis lors le feu,
La poudre depuis lors
Et depuis lors le sang.
Des bandits avec des avions, avec des Maures,
Des bandits avec des bagues et des duchesses,
Des bandits avec des moines noirs et des prières
Vinrent du haut du ciel pour tuer les enfants.
Par les rues le sang des enfants des enfants
Courut simplement comme du sang d'enfant. Chacals que les chacals repousseraient
Pierres que les chardons secs mordraient en crachant
Vipères que les vipères haïraient,
Devant vous j'ai vu le sang de l'Espagne se soulever
Pour vous noyer sous une vague d'orgueil
Et d'éclairs de couteaux.
Généraux
Traîtres :
Regardez ma maison morte
Regardez l'Espagne blessée.

Mais de chaque maison morte sort un métal ardent
En guise de fleurs,
Mais de chaque blessure de l'Espagne
Sort l'Espagne,
Mais de chaque enfant mort sort un fusil avec des yeux
Mais de chaque crime naissent des balles
Qui vous chercheront un jour la place du cœur.

Vous demandez pourquoi ma poésie
Ne parle pas du songe, des feuilles,
Des grands volcans de mon pays natal !

Venez voir le sang dans les rues
Venez voir le sang dans les rues
Venez voir le sang dans les rues.)
("Expliquons-nous", traduction trouvée sur
http://www.groupefructidor.com/boutons&textes&photos/textes%20paix.htm)
Juste un détail, pour faire l'intéressant : je préfèrerais traduire la fin en respectant les retours à la ligne :

Venez voir le sang dans les rues,
Venez voir
le sang dans les rues,
Venez voir le sang
dans les rues !

Crédits photographiques : L'illustration de ce billet est une photo des ruines de Guernica, publiée sur Wikimedia Commons sous une licence Creative Commons Attribution ShareAlike 3.0 Allemagne par les Archives fédérales allemandes .

1 commentaire:

  1. Merci pour ce poême et sa traduction que j'ai eu plaisir a retrouver, l'ayant étudié autrefois au lycée.

    Cordialement

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