mercredi 29 juillet 2009

Lettre ouverte à Frédéric Beigbeder

Bonjour Monsieur,

J'ai lu il y a quelque temps votre article "J'ai peur du virtuel". Vous dites que "Les internautes sont très tolérants, sauf quand on critique Internet." Je suis un internaute et si je me permets de vous répondre aujourd'hui, ce n'est pas parce que vous critiquez Internet. Si je vous réponds aujourd'hui, c'est parce j'ai lu votre article comme une attaque personnelle à mon encontre. J'espère que vous apprécierez le délai de réflexion que je me suis accordé afin de ne pas vous importuner pour une lubie ;-).

N'en doutez pas, je suis de ceux dont vous parlez : "des Fakes et des frustrés, ou simplement des losers tristes et seuls, timides et respectables". J'ai longtemps été respectable et timide, trop seul peut-être. Du dépit que j'en ai conçu, j'ai été frustré, au point de devenir un fake. Je ne vais pas vous raconter ma vie, elle n'a pas d'intérêt et vous ne la pourriez pas comprendre. Qu'il vous suffise de savoir que les gens ne me reconnaissent jamais à notre deuxième rencontre, que j'ai passé mon adolescence à mendier les sourires de telle ou telle, sourire que j'estimais comme le plus intense des plus troublantes délices de l'amour, que je n'ai rien choisi dans mon existence, que, mille fois, j'ai crispé mes poings vers Dieu, rempli de haine pour moi-même, pour n'avoir pas su saisir une occasion de faire un geste ou une parole. J'ai eu 15 ans à peu près en même temps que vous et lorsque je sortais du lycée je me dépêchais de rentrer et ce n'était pas pour échanger sur Facebook ou sur MSN, c'était pour lire Baudelaire. Ce que vous appelez "un loser triste et seul, timide et respectable", c'est ce que j'appelle un spectre. Vous le savez comme moi, les spectres n'existent pas. C'est bien de cela qu'il s'agit : je n'existe pas. En tout cas, je n'existe pas dans ce que vous appelez la vie...

Je ne parlerai pas de la "surveillance orwellienne de [mes] habitudes de consommation". Je m'accommode fort bien d'être un profil de consommateur. Le plus sagace des analystes de Facebook en sait bien moins sur moi que n'en sait sur vous le plus grossier des vigiles qui somnolent devant les écrans de surveillance des lieux où vous charroie votre "vraie" vie. Que m'importe le business, s'il me permet d'avoir commerce avec des étoiles !

J'ai dit que je n'ai jamais rien choisi. J'ai menti : j'ai choisi mon pseudo sur Facebook, sur Myspace, j'ai choisi chacune des innombrables adresses email que j'ai eu l'occasion d'utiliser, j'ai choisi les pseudos les plus extravagants sur les forums les plus improbables, j'ai choisi le titre de mes blogs. J'ai acquis quelque notoriété sur Internet sous mon vrai nom (notoriété qui n'approchera jamais la vôtre, bien sûr), j'ai parfois été utile aux uns ou aux autres sur Internet, je m'y suis fait des amis (je veux dire de vrais amis, pas des vignettes sur Facebook), j'y ai parfois été admiré, j'y ai parfois été importun, comme je lui suis à l'instant même... J'y ai vécu. Lorsque quelqu'un que j'ai rencontré dans la "vraie" vie me rencontre sur Internet, il se demande souvent étonné si je suis bien la même personne que celle qu'il a rencontrée (à supposer qu'il se souvienne de moi, ce qui est rare) ; lorsque je dois parler (en face ou au téléphone) à quelqu'un qui m'a d'abord rencontré sur Internet, il est déçu, toujours.

Aussi, pour répondre à votre exhortation, c'est sur Internet que je suis le plus sorti, que j'ai le plus discuté, que j'ai le plus bossé.

Vous avez connu comme moi l'époque où Internet n'existait pas. Depuis son arrivée, je suis toujours un loser, mais je ne suis plus triste. Je suis seul sans doute, mais, comme celui de Michelet (Jules, pas Claude), il est lumineux, âpre et beau mon désert et je me plais dans cette thébaïde constellée.

Je me doute que vous avez bien d'autres choses à faire que de répondre à mon verbiage et je serais déjà flatté que eussiez poursuivi votre lecture jusqu'ici. Je voudrais, si je le puis dire sans outrecuidance, vous apprendre quelque chose, vous amener à repenser votre vision de la vie et de la mort. Je suis aussi dandy que vous, je suis aussi vivant que vous, je suis plus désespéré que vous ne le serez jamais. Est-ce que cela ne me rend pas plus beau ?

Pour finir, je ne vous aurais jamais dit cela si je vous avais rencontré en personne. Mais c'est peut-être ça la vraie vie.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec la considération et le respect les plus parfaits,

Votre serviteur le plus dévoué, Caym.

Update : J'ai répondu à commentaire à ce billet fait sur Facebook dans un autre billet.

1 commentaire:

  1. Merci pour votre très belle réponse. Je comprends parfaitement vos raisons, qui ne me font pas changer d'avis sur Facebook mais qui m'éclairent sur l'utilité du web. J'ai moi aussi eu une enfance solitaire et je me demande souvent qui je serais devenu si j'avais grandi avec les technologies actuelles. Sans doute un nerd parmi tant d'autres ! Les ravages de la timidité sont sous-estimés, si ces réseaux peuvent nous permettre de nous parler un peu, alors ils ont peut-être, finalement, un sens. amitiés FB

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